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Confessions d'une perverse narcissique: "Je suis entièrement dénuée de remords"

Par L'Express, publié le 21/02/2014 à 08:16

Sous la séduction, la destruction. Confessions d'une sociopathe brosse l'autoportrait en perverse narcissique d'une jeune femme à qui tout semble sourire. Extraits. 

 

"Confessions d'une sociopathe. Dans la tête d'une manipulatrice", de M. E. Thomas: "Là où les autres apprenaient à jouer avec un ballon, j'ai appris à jouer avec les gens."

 

 

Getty Images/Thinkstock

 

[Extraits]

Je suis une juriste accomplie, professeur de droit, une jeune femme ayant fait de bonnes études, respectée, qui publie régulièrement des articles dans les revues juridiques et a suggéré plusieurs théories légales. Je fais don de 10% de mes revenus à des organismes caritatifs, j'enseigne le catéchisme tous les dimanches. J'ai un cercle familial et amical rapproché que j'aime, et réciproquement. [...] 

>>>Notre dossier complet sur les pervers narcissiques 

Si vous me rencontriez, vous m'apprécieriez. Je n'en doute pas, parce que j'ai croisé un échantillon significativement large de personnes auprès desquelles mon charme a toujours opéré. J'ai le genre de sourire assez répandu chez les personnages de feuilleton télévisé mais plutôt rare dans la population normale, aux dents dont la blancheur éclatante est irrésistible. Je suis le rancard que vous adoreriez emmener au remariage de votre ex. Amusante, excitante, je suis l'escorte idéale - l'épouse de votre patron n'a jamais connu jeune femme aussi agréable. J'incarne aussi le juste équilibre entre intelligence et réussite qui ravirait vos parents si vous me présentiez à eux. [...] 


Confessions d'une sociopathe. Dans la tête d'une manipulatrice, de M. E. Thomas.

Les sociopathes sont renommés pour posséder un ego si boursouflé qu'il ne déparerait pas un tableau de Rubens. Je transpire l'assurance à un niveau beaucoup plus élevé que celui que devraient me permettre mon apparence physique et mon statut social. Je ne suis pas très grande, mais je dégage une forte présence grâce à mes larges et puissantes épaules et à ma mâchoire carrée. Mes amis me font souvent remarquer ma dureté et ma démarche masculine. Je suis pourtant aussi à l'aise en robe qu'en santiags. 

"Le regard du prédateur"

L'un des aspects les plus frappants de ma confiance en moi est peut-être ma capacité à soutenir les regards. D'aucuns appellent cela "le regard duprédateur", et il semble que la plupart d'entre nous [les sociopathes] en soient dotés. Ce regard pouvant trahir l'hostilité, on recommande aux visiteurs des zoos de ne pas fixer les gorilles, qui risquent de l'interpréter comme un signe d'agression.  

La majorité des gens ont l'air de penser la même chose, sinon les défier du regard ne serait pas un tel jeu pour nous. Les sociopathes diffèrent du reste de la population. Un contact visuel prolongé ne nous perturbe en rien. Notre inaptitude à poliment détourner les yeux est en général perçue comme de l'aplomb, de l'agressivité, de la séduction ou de la prédation. Elle désarçonne, mais d'une façon souvent excitante. [...] 

C'est du fait de la manipulation que la sociopathie est mal perçue. Je ne vois pas pourquoi. Il s'agit juste d'un échange de bons procédés. Une personne souhaite quelque chose de particulier - vous plaire, se sentir désirée ou utile, être vue comme quelqu'un de bien -, et la manipulation n'est pour elle qu'un moyen rapide et pas très net de se satisfaire et de faire plaisir. On pourrait tout aussi bien parler de séduction.  

L'un de mes amis sociopathes m'en a donné un bon exemple. Un type veut vendre sa voiture 5 000 dollars, un autre veut en acheter une 10 000. Je connais les deux, qui, eux, ne se connaissent pas. J'achète la bagnole du premier à son prix, je la revends au second à son prix ; j'empoche la différence de 5 000. En économie, ça s'appelle de l'arbitrage et ça se passe tous les jours à Wall Street (et ailleurs). Chacun obtient ce qu'il désire, tout le monde est content, et il en va ainsi tant que les deux types ne font pas le lien et n'en apprennent pas plus que le strict minimum. J'encourage donc leur ignorance pour le bénéfice de tous... surtout le mien. [...] 

Une enfant manipulatrice

Là où les autres apprenaient à jouer avec un ballon, j'ai appris à jouer avec les gens. J'agissais sans subtilité. J'utilisais mes amis comme des pions dans le seul but d'accéder à leurs jouets ou à ce qu'ils avaient à m'offrir. En général, il ne m'était pas nécessaire de recourir à des ruses compliquées, au contraire de celles que j'ai élaborées par la suite.  

Je me contentais du minimum pour m'insinuer dans les bonnes grâces d'autrui afin d'obtenir ce que je convoitais: de quoi manger à la pause déjeuner, alors que nos placards étaient vides, être véhiculée de la maison à l'école ou à diverses activités quand mes parents manquaient à l'appel ; être invitée à des anniversaires dans des parcs d'attractions ou des salles de jeux qui n'étaient pas dans nos moyens ; et ce qui m'importait par-dessus tout, voir la peur des autres, qui m'indiquait que c'était moi qui avais le pouvoir, qui dominais la relation.  

Là où les autres apprenaient à jouer avec un ballon, j'ai appris à jouer avec les gens 

Je crois que mes fréquentations étaient un brin agacées par le peu de cas que je faisais de ce qui leur tenait à coeur, comme le bien-être d'autrui ou ma propre sécurité physique. Quand un camarade de classe pleurait parce que je lui avais fendu la lèvre d'un coup de poing, je restais là à l'observer, puis m'éloignais dès lors que j'étais lassée du sang et du drame que ce dernier avait provoqué. J'aimais les joujoux et les bonbons comme tout le monde, mais il était impossible de me manipuler ou d'exercer un chantage sur moi avec eux, car je refusais d'être roulée en vue de partager ou d'être gentille, contrairement aux autres enfants. [...] 

Détruire pour le plaisir

Il n'existe pas un sociopathe qui ne soit avide de pouvoir. De toute ma vie, je n'ai jamais pensé qu'à lui - le pouvoir d'être désirée ou admirée, celui de détruire, le savoir, l'influence occulte. J'aime les gens. Je les aime tant que je veux les toucher, les modeler ou les démolir comme bon me semble. Non parce que le résultat m'intéresse forcément, mais parce que j'ai envie d'exercer mon pouvoir. Son acquisition, sa rétention et son exploitation sont ce qui motive les sociopathes. Aucun doute là-dessus. 

Qu'entends-je par démolir? En matière de pouvoir, comme en matière de nourriture ou de sexualité, tous les goûts sont dans la nature. Mon truc, c'est avoir l'impression que mes idées façonnent le monde qui m'entoure [...]. C'est mon pain quotidien, qui m'empêche de mourir de faim. Mais lorsque je me fais plaisir - que j'opte pour la tranche de foie gras -, c'est pour m'introduire dans la psyché de quelqu'un et y flanquer en douce le plus grand bazar possible.  

Je fais le mal. Je terrorise l'âme d'une personne sans avoir pour autant quelque chose contre elle. C'est un plaisir d'échafauder, d'assister à l'accomplissement de mon oeuvre; mais c'en est un, aussi, de détruire, d'observer la dévastation que vous avez élaborée, pareil à celui qu'on ressent quand on balance une hache pour l'abattre nonchalamment sur une porte en bois mise au rebut.  

Le plaisir de la destruction est particulier au regard de sa rareté 

Chaque fois, vous avez un sentiment de puissance et de compétence. Cependant, le plaisir de la destruction est particulier au regard de sa rareté - comme dissoudre une perle dans du champagne. Le quotidien exige que nous soyons productifs et intégrés, mais si vous avez déjà éprouvé l'envie violente de dire à votre meilleure amie que, oui, ce pantalon la grossit, vous comprendrez à quel point il est libérateur de s'attaquer sans retenue aux points les plus sensibles d'autrui. [...] 

La jouissance de la conquête

[Avec Morgan, une collègue de bureau avec laquelle elle aura une aventure], l'engouement n'a pas tardé à devenir réciproque. Le mien était fermement enraciné dans mon narcissisme et mon désir d'exploiter les faiblesses d'une personne qui m'avait d'abord éblouie ; le sien tenait à son apparente attirance pour les gens susceptibles de prendre plaisir à la faire souffrir.  

Je n'ai jamais connu quelqu'un réagissant aussi vivement à moi que Morgan. Son attachement de plus en plus fort a même modifié son apparence. Sa mâchoire a perdu de sa fermeté, ses yeux bruns qui, auparavant, soutenaient mon regard l'évitaient désormais, fuyaient de tous côtés, hésitant à se poser trop longtemps sur quoi que ce soit. Je crois même que ses cheveux ont commencé à tomber. 

Cette métamorphose m'a paru ahurissante, car professionnellement, Morgan avait tout d'une femme déterminée et confiante ; elle affrontait les juges, les jurés et quelques confrères réputés pour leur dureté avec une morgue authentique. Elle détenait un pouvoir sur les autres dont je souhaitais obtenir des miettes, notamment ce respect gagné haut la main que je désirais égaler. Au début, j'ai joui de l'influence que j'avais sur elle. J'atteignais l'orgasme dès que je notais une fêlure dans sa voix ou qu'une phrase absurde s'échappait de ses lèvres [...]. Je crois bien m'être laissée un peu emporter par mon élan, sur ce coup-là. 

Morgan ne s'en est pas remise. Je gagnais avec une longueur d'avance trop importante pour que la partie continue de l'intéresser. J'ai tenté d'alléger ses angoisses comme on essaie d'apaiser un animal ou un enfant excité - mouvements lents, explications, réassurances -, autant d'attitudes empreintes d'une certaine dose de condescendance. J'ai fourni de réels efforts pour lui faire honte d'avoir peur d'une petite chose innocente comme moi. Bref, Morgan m'a occasionné bien du boulot.  

J'ai cependant aggravé la situation en exprimant ma répulsion devant son manque de courage et sa lâcheté. Un après-midi, elle a annulé un dîner, juste à cause de la nervosité que je lui inspirais, ai-je deviné. Assise dans son bureau, je l'ai toisée sans mot dire, incarnation du jugement, incapable de me contraindre à la libérer.  

Entretenir son masochisme était bien trop exquis. Mais j'ai poussé trop loin la tactique de la honte, et elle a cessé de m'adresser la parole. Je ne me souviens plus de mes paroles ayant mis un terme à notre liaison. Peut-être ai-je sous-entendu qu'elle ne me méritait pas ou me suis-je moquée de sa vilaine peau. J'étais réellement surprise qu'elle veuille rompre. Je n'aurais pas dû l'être. Sans m'en rendre compte, je l'avais amenée à préférer me quitter plutôt que souffrir avec moi. [...] 

Une morale toute personnelle

D'aucuns pourraient croire qu'à force de manipuler et de "détruire" les gens, je passe ma vie à violer le concept du "ne pas faire aux autres ce que je ne voudrais pas qu'ils me fassent". Sauf que je n'ai aucun problème avec l'idée que les autres essaient de me "démolir" à leur tour. Pour moi, ça n'a rien de personnel, c'est ainsi que va le monde. Tous, nous luttons pour affirmer notre primauté. Serais-je mécontente si je tenais une sandwicherie et que quelqu'un en ouvrait une de l'autre côté de la rue? Ça m'agacerait sûrement, pour autant je n'y verrais rien de personnel. Je n'ai pas de haine dans mon coeur contre les personnes qui agissent ainsi.  

La domination d'autrui est ma manière de valider l'estime que j'ai de moi 

Si je leur souhaite du mal, ce n'est pas parce que je ne les aime pas. Simplement, elles jouent dans ma cour, et la domination d'autrui est ma manière de valider l'estime que j'ai de moi. On m'objectera qu'en essayant de contrôler les autres je les prive de leurs propres pouvoirs, de leur dignité et de leur indépendance. Je ne considère pas cela comme un problème moral. Les gens ont toujours le choix de se soumettre à moi ou de se préparer à affronter les conséquences de leur résistance. [...] 

La vérité, c'est que je suis entièrement dénuée de ce que les gens appellent une conscience ou des remords. Le concept de moralité - entendu comme une appréhension émotionnelle de ce qui est bien ou mal - me passe complètement au-dessus de la tête, comme une bonne blague qui m'échapperait. Du coup, je n'y porte qu'un intérêt mitigé [...].  

A mes yeux, rien n'est fondamentalement mauvais. Mais, plus important encore, je ne me sens jamais obligée de ne pas faire quoi que ce soit sous prétexte que ce serait mal ; si je me pose des interdits, c'est uniquement à cause d'éventuelles retombées indésirables. Ainsi, le mal n'a pas de sens concret pour moi. Il ne recèle aucun mystère. Il s'agit d'un mot qui décrit une sensation que je n'éprouve pas. 

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